paysages polymères

        A l’orée du quartier le plus récent, la ville marque une rupture nette et verticale avec ses barres d’immeubles aux pieds desquels s’étalent quelques champs puis la forêt. La campagne alentour est idyllique. Les habitants s’y promènent volontiers, s’y adonnent à des activités sportives, les chiens y sortent leurs maîtres, les jeunes s’y retrouvent en journée ou la nuit pour passer leur jeunesse. C’est une zone marginale où l’on vient y oublier la vie dans la cité, le paquet de chips consommées et la bouteille de bière. Une échappatoire à ses problèmes existentiels dont la nature sauvage est le dépotoir où l’on vient se détacher de tous ces objets inutiles qui envahissent l’existence.

        Cet endroit, comme il en existe tant, est la petite ville de Pabianice dans la région de Łódź, en Pologne, où habite ma famille. Un des lieux de mon enfance où je me rends ponctuellement et où j’ai l’habitude de faire de longues marches dans la campagne.
        Poussée par une nécessité intuitive, puis obsessionnelle, j’ai commencé à photographier régulièrement la frange transitoire entre la ville et la forêt profonde – étrange et familière, une sorte d’inconscient collectif.
        Je photographie à échelle humaine, à hauteur de l’organe de la vue, ce que les gens ne veulent ou ne peuvent (intellectuellement) voire afin de mettre en lumière ces objets marginaux ; la distanciation créée par la représentation les rendant visibles en leur redonnant une existence en tant que matière à réflexion.
        Ces images questionnent notre rapport au monde ou devrait-on plutôt dire : le rapport à notre environnement. L’environnement n’est pas cette nature abstraite et lointaine confinée dans la campagne dont la question est à reléguer aux spécialistes du sujet : l’environnement commence exactement à la limite de notre corps. Je dirais même qu’il se situe déjà dans celui-ci. Finalement, nous sommes physiquement cet environnement et nous y contribuons par nos actes.
        Il m’est très vite apparu hypocrite de laisser ces indésirables là où ils se trouvaient. Je me suis donc mise à ramasser systématiquement tous les détritus des scènes que je photographiais, des alentours du site ainsi que sur les chemins de mes randonnées. Ce geste simple et fait avec humilité, m’a permis de dépasser le sentiment d’accablement que j’avais auparavant face à une situation affligeante et ainsi, par ma pratique, donner du sens à une nécessité intérieure.
        La photographie joue ici son rôle ontologique : celui de l’enregistrement de quelque chose qui est sur le point de disparaître et dont l’image produite devient le document témoin de ce qui n’est plus. Au-delà de ce premier constat qu’apporte le médium, je tente de créer des paysages par-delà une vue culturellement dualistique, conciliant une vision holistique de notre environnement à une représentation symbolique d’un dilemme où les polymères synthétiques s’entremêlent aux polymères organiques et à leur milieu.

        Ce travail est envisagé dans un projet de plus grande envergure à travers toute l’Europe et qui prendra forme au cours des prochains mois.

Olivia Guigue, 2017

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